vrijdag 2 januari 2009

Cubanologics


Chers amis francophones, ci-joint un petit aperçu de mon livre 'Cuba na Castro. Eiland in omwenteling', qui sort au mois de février 2009. Voor de Nederlandstaligen: zie de tekst van 28 december ...

La révolution cubaine vient d'avoir 50 ans. En cédant le pouvoir à son frère cadet Raúl, Fidel Castro, le père de la révolution, a parfaitement suivi le scénario préétabli. Pas la moindre nervosité dans les rues de La Havane et pas de champagne à l'intérieur des casas, là où les cubains mènent leurs vies modestes. Non seulement ils n'ont pas les moyens de se payer du champagne, mais en plus, les bulles ne font pas partie d'une culture austère et de sacrifice révolutionnaire permanent.

Qu'est-ce qu'il y aurait eu à célébrer, d'ailleurs? Que tout change alors que rien ne change, comme l'écrivait Giuseppe di Lampedusa? Que la vie de tous les jours reste rythmée, encore aujourd'hui, par les préoccupations quotidiennes comme remplir son assiette avec autre chose que des pizzas ou ce fameux arroz y frijoles (riz aux haricots rouges)? Ou bien, peut être que Raúl a tout de même et malgré tout entamé des réformes, par petites touches, qui mises ensemble forment un souffle qui pourrait bien changer les simples certitudes d'hier en un futur encore insondable, prometteur pour la plupart, incertain pour quelques uns voire une boîte de pandore comme d'aucuns le craignent?

Le vétéran de la campagne d'Angola, où Cuba avait envoyé ses fiers soldats en soutien aux peuples frères, cet homme aux belles décorations et à la jambe de bois, à quoi rêve-t-il encore? La veuve de feu le Haut Collaborateur aux Nations-Unies, à New York, qui aujourd'hui végète sur un lit de camp dans une maison où il pleut, que peut-elle encore attendre? Et que vit-il, le couple noir qui, contrairement à ses voisins blancs, n'a jamais eu l'argent nécessaire pour émigrer en Floride? Il y a aussi le bouquiniste qui, en toute hâte, après avoir été informé d'une razzia policière imminente, brûle ses vieux exemplaires du Miami Herald, journal interdit, dans le fond d'une cour lépreuse derrière sa boutique. Et quid de cette quinquagénaire qui gagne sa vie en nettoyant les rayons d'une grande surface de Miami, et qui pleure parce qu'en dehors de la Havane, elle a perdu tout repère et en finit par se demander ce qu'elle est venue chercher dans ce fameux pays de la liberté à 6 dollars de l'heure? Il y a aussi ce jeune gay, qui grâce à l'engagement de Mariela Castro, cette 'première fille' du régime et sexologue décomplexée qui porte le verbe haut et ne craint pas la polémique, ose enfin réclamer sa place dans une société encore et toujours patriarcale. Et puis la bloggeuse Yoani Sánchez, qui risque quotidiennement sa liberté en critiquant sévèrement et avec un humour subtil ce régime obsolète et déconnecté du 21ième siècle dans son journal on-line lu par des millions d'internautes à travers le monde. Tous ceux-là préfigurent le Cuba de demain. Et eux, les membres du Comité Central, les directeurs de la Banque Nationale, ou les fameux médecins qui font la fierté de la révolution, quels sont leurs espoirs? Etonnamment, ils parlent tous librement, et pas toujours pour dire ce que l'on pourrait en attendre.

Inutile de préciser que nombreux sont les cubains qui veulent le changement. Nombreux sont aussi ceux qui, après tout, préfèrent la continuité d'une vie sobre, certes, mais sûre en même temps.

Ce qui est certain, c'est que tout le monde a compris que l'époque de Fidel est presque révolue. Et tous reconnaîtront sans qu'on les pousse trop, qu'il fût un temps où la révolution semblait offrir un projet de société, mais qu'elle a perdu son souffle, et qu'il faut s'adapter ou périr. Même au sommet de l'Etat, cette idée, inimaginable il y a même quelques mois, est désormais acquise. Mieux encore: elle est acceptée depuis belle lurette, alors qu'en Europe ou ailleurs en Amérique Latine, et malgré des témoignages généralement démystificateurs, tout n'est encore souvent que « fidélisme » béat ou romantisme révolutionnaire.

Les cubains sont un peuple fier et bavard. Ce sont aussi de grands mélancoliques à l'humour acide. Il faut les voir, le soir tombé, à l'approche de l'allumage du phare de la Havane: comme ils scrutent l'horizon, tendus vers le détroit de Floride, et les 90 miles qui les séparent d'un extérieur si convoité, une mer où des milliers de compatriotes, amis ou parents ont péri, noyés ou dévorés par les requins, de vrais requins… ou les deux.

Un extérieur désiré et méprisé en même temps. Car peu de cubains se disent prêts à sacrifier leur univers à McDonald's et autres Walmart. 'Alors, autant garder ce qu'on a', dit un jeune branché, connexion Internet à la maison et parabole clandestine pour capter les chaînes de télévision de Miami. Rares sont ceux qui veulent se mettre à genoux devant ce que le père de l'indépendance cubaine, José Martí, avait appelé dès la fin du 19ième siècle l'Empire.

Une minorité de cubains seraient déjà contents avec quelques corrections du régime. Mais la plupart demandent plus, mieux et plus vite. Malgré cela, personne ne veut d'un rouleau compresseur. Pas une deuxième fois. Prendre et donner, le donnant-donnant, le meilleur des deux mondes. Un peuple qui serait finalement réconcilié avec lui-même: voilà ce dont les cubains rêvent aujourd'hui. Les panneaux à l'entrée de la ville de La Havane le disent déjà de toutes les couleurs: 'Bienvenido a la capital de TODOS los Cubanos.'

Au travers de reportages et de témoignages officiels et officieux, pathétiques et facétieux, ce livre tente de voir vers quoi aspirent les cubains, et en quoi ces aspirations sont, tenant compte des contextes politique, économique, social et culturel, réalisables ou non dans les années qui viennent.

Quels scénarios les 'transitologues' prévoient-ils? Est-ce que la révolution cubaine saura se sauver, inventant une glasnost et une perestroika à la cubaine qui, contrairement à ce qui s'est passé en Russie ou en Europe de l'Est, ne mèneront pas à l'écroulement du système mais bien à son renouvellement de l'intérieur? Et finalement, cette ouverture à l'intérieur de la fermeture n'est-elle pas déjà en cours? Et va-t-elle suffisamment loin ? Arrivera-t-elle à être assez efficace pour que le régime y retrouve une légitimité durable et une base nouvelle?

L'autre option est plus dramatique : on pourrait assister rapidement à un 'sauve-qui-peut' généralisé où les élites communistes d'aujourd'hui et de demain se métamorphoseraient comme par miracle en oligarchies capitalistes, ne laissant au peuple que la possibilité d'une évasion hypothétique vers la Floride.

La question taraude tous les observateurs : l'exemple à suivre serait-t-il chinois, modèle dont on dit Raúl Castro très adepte et qui préconise les ouvertures économiques tout en gardant le Parti Communiste en place? Ou les dissidents démocrates auront-ils tout de même leur mot à dire, avec ou sans l'aide de Washington?

Le mystère reste entier, et beaucoup de cubains, fatalistes pour les uns et résignés pour les autres, se sont lassés de la question, lui préférant un quotidien plus ou moins normalisé, où, au moins, les nombreuses difficultés économiques d'antan semblaient peu à peu appartenir au passé.

Hélas, trois ouragans et une crise mondiale généralisée en ont, pour l'heure, disposé autrement...

Mais là encore: avec un Fidel réduit à une présence relativement symbolique et les réformes de son frère plus ou moins en marche, Cuba est déjà une autre île, l'air qu'on y respire est déjà différent. Subtilement, presqu'en silence, les citoyens cubains voient évoluer les choses.

"Le peuple ose aller plus loin, il pousse d'en bas," chuchote un témoin. En dernière instance, ce ne seront probablement ni les gouvernants ni les dissidents ni les Etats-Unis qui détermineront le cours que prendra Cuba. Les vrais acteurs de ce tournant, ce sont les gens de l'île avec et au travers leur vie et défis de tous les jours.

© Lode Delputte, 2008.